Tu noies tes chagrins dans l'alcool ? Méfie-toi, ils savent nager.[PV Jules]

   La semaine avait été tout simplement éreintante. June, jeune journaliste dans un petit journal local, avait eu à subir les critiques acerbes de sa nouvelle patronne qui, en bonne dirigeante, lui en avait fait voir de toutes les couleurs. En ce vendredi soir grisâtre, la jeune femme était rentrée dans sa maison vide de Wisteria Lane plus épuisée que jamais. Maintenant enfermée dans sa prison dorée, June errait dans la maison bien trop grande qu'elle partageait avec sa mère et sa sœur. Elle avait d'abord jeté son dévolu sur un pot de crème glacée au chocolat, remède miraculeux et exquis contre les peines de cœur. Mais après plusieurs cuillerées, elle devait avouer qu'il n'avait rien fait. Ses maux ne venaient pas de son organe vital mais de son corps tout entier. Il lui fallait quelque chose de plus fort.

   Épuisée par ses traitements, dégoutée de ce que lui avait offert la vie, elle avait presque envie d'en finir. Pourtant, elle savait bien qu'elle n'avait pas à se plaindre, que malgré sa maladie, elle avait une famille qui l'aimait, plusieurs bons amis et un emploi qui lui permettait de s'en sortir. Mais cette semaine était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase et elle voulait juste oublier ce qu'était devenue sa vie...Nostalgique du bon vieux temps où elle passait ses soirées dans des bars de l'université où elle obtenait tout de même une moyenne bien plus élevée que la plupart des élèves.
    Nostalgie, regrets, tristesse, tous ces sentiments la forcèrent à prendre les clés de la voiture posée sur la table de la cuisine et à se diriger vers son remède, la seule chose un peu censée qui pouvait la sauver.

    N'importe qui aurait cru que dans une soirée pareille, tenant de telles paroles, la jeune femme aurait roulé longtemps, très longtemps, jusqu'au moment où prise d'ivresse en sentant le vent s'engouffrer par le toit ouvrant de son cabriolet et glisser sur son visage, elle aurait foncé tout droit dans un mur pour en finir. Ce soir-là, June y pensa, mais elle ne le fit pas. Trop de choses l'a raccroché encore au monde du vivant et elle ne pouvait pas s'y résoudre. Mais ce soir-là, elle se promit à elle-même qu'elle en finirait avant que la maladie ne la prenne.

June tourna dans une petite ruelle. Au bout, un petit bâtiment et quelques voitures qui dormaient sur un parking froid. Pas de mur. Soufflant un bon coup pour se donner du courage, elle sortit de sa voiture, la referma et se dirigea vers le bâtiment en brique d'où sortait le bruit sourd d'une sono au maximum. La jeune femme resserra sa veste autour de ses épaules pour se réchauffer, avant d'entrer dans la bâtisse.

A l'intérieur, les habitués avaient déjà pris place au bar. Les yeux tournés vers la scène où jouait un de ces bons vieux groupes dont personne n'entend jamais parler, un verre du même liquide auburn tournoyant entre leurs doigts, une soirée habituelle pour eux. L'endroit sentait la sueur et l'alcool chaud. June ne fit pas attention aux regards qui se tournaient vers elle lorsqu'elle traversa la pièce. Elle vint simplement s'asseoir au bar, comme tant d'âmes perdues l'avaient fait avant elle. Puis d'une voix rauque elle commanda le même remède que les autres et elle but. Et but encore.